La Belgique fait partie des nombreux États d’Europe qui ont abandonné la conduite de leur politique commerciale commune aux institutions de l’Union européenne. Au départ, elle n’était donc impliquée dans la conclusion de l’AECG avec le Canada qu’en qualité d’entité constitutive de l’Union. Les Communautés et les Régions belges ne disposaient que du droit de participer à la détermination, par consensus, de la position que la Belgique devrait défendre au sein du Conseil des ministres de l’Union au moment de la signature du traité.
Toutefois, la Commission proposa en juillet 2016 que la partie de l’AECG qui instaurait un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, et qui suscitait à l’époque l’opposition d’une importante minorité d’États membres, soit considérée comme inscrite dans un domaine de compétence partagée entre l’Union et ses États membres. Par suite, l’AECG devenait un accord « mixte » qui nécessitait la signature et la ratification de tous les États membres de l’Union. La Commission proposait également que la partie de l’Accord relevant de la compétence exclusive de l’Union — soit plus de 90 % du texte négocié — soit appliquée à titre provisoire dès qu’elle aurait reçu les approbations du Parlement européen et du Parlement canadien. Ce compromis, suscité par le fait que plusieurs États membres n’admettaient pas d’être complètement écartés du processus d’approbation et de ratification, allait permettre d’obtenir au sein du Conseil la majorité qualifiée requise pour autoriser la signature de l’Accord.
La Belgique étant désormais reconnue comme future partie contractante de l’AECG, les règles du droit belge relatives à la conclusion des traités qui ne portent pas uniquement sur des matières de compétence fédérale (re)devenaient applicables : l’Autorité fédérale ne peut les conclure sans les gouvernements fédérés. Ceux-ci sont associés sur pied d’égalité aux négociations et à la signature. L’usage européen veut en outre qu’une seule signature soit apposée au nom du Royaume et qu’une déclaration sous cette signature mentionne qu’elle engage aussi les Communautés et les Régions belges. Chaque collectivité fédérée doit avoir préalablement conféré les pleins pouvoirs à l’unique représentant fédéral pour que celui-ci signe le traité. Ensuite, il faut recueillir, outre l’assentiment de la Chambre des représentants fédérale, l’assentiment de tous les parlements fédérés avant que le Roi ne ratifie le traité, ce qui assujettit la ratification royale au bon vouloir de chaque assemblée parlementaire belge.
À l’époque, le gouvernement fédéral belge était de centre-droite, favorable aux accords classiques de libre-échange, alors que le gouvernement de la Région wallonne était de centre-gauche, attentif aux préoccupations de la « société civile » comme la lutte contre le changement climatique et les inégalités sociales ainsi que la protection de l’environnement.
Dès avril 2016, le gouvernement wallon, désireux de renforcer son influence sur la teneur finale de l’Accord, avait demandé et obtenu de son parlement le vote d’une résolution qui demandait (a) au gouvernement fédéral de plaider au sein du Conseil pour que le futur Accord soit qualifié d’accord mixte au sens du droit de l’Union européenne, et (b) au gouvernement wallon de ne pas accorder de pleins pouvoirs au gouvernement fédéral pour la signature de cet Accord tant que le texte issu des négociations pouvait porter atteinte aux règles existantes en matière sanitaire, phytosanitaire, sociale et environnementale, voire au droit des États et de leurs collectivités constitutives de les modifier. La résolution refusait aussi le système de règlement des différends entre investisseurs et États préconisé par les négociateurs de l’AECG. Le Parlement de la Communauté française de Belgique emboîta
le pas au Parlement de Wallonie en mai, puis il en fut de même de l’Assemblée des parlementaires francophones de Bruxelles en juin et du Parlement de la Région bruxelloise en juillet.
Le recours du ministre-président wallon au soutien de son parlement était ingénieux : sans l’intervention anticipée des parlements francophones, la signature de l’AECG par l’Union européenne aurait pu être autorisée par le Conseil malgré l’abstention de la Belgique et la majeure partie de l’Accord aurait pu être provisoirement appliquée sans autres approbations que celles du Parlement canadien et du Parlement européen. Il fallait donc confronter la Commission européenne à un refus de délégation de signature, de façon à l’obliger, pour la première fois dans son histoire, à négocier directement avec une collectivité régionale et à tenir compte de ses revendications.
La négociation étant censée terminer, la Commission s’opposa à la réouverture des négociations avec le Canada. Pour autant le Conseil soutint la proposition de rédaction d’une déclaration interprétative, destinée à préciser l’AECG, que prépareraient la Commission européenne et le gouvernement canadien. N’ayant pu obtenir des modifications à l’Accord lui-même et étant insatisfaites de la teneur du projet de déclaration interprétative qui leur avait été communiqué, les quatre assemblées parlementaires réclamantes — auxquelles s’était joint le Parlement de la Communauté germanophone de Belgique — adoptèrent à la mi-octobre de nouvelles résolutions demandant à leurs gouvernements respectifs de maintenir leur refus de conférer au gouvernement fédéral les pleins pouvoirs pour signer l’Accord.
Après une semaine de négociations ininterrompues avec la Commission européenne et la ministre canadienne du Commerce extérieur, le projet de déclaration, désormais appelé « instrument interprétatif commun », put être remanié à la satisfaction du gouvernement wallon. Le dernier point de discorde qui subsistait était le mécanisme de règlement des conflits entre investisseurs et États. À cet égard, une solution intra-belge fut dégagée au Comité de concertation qui, en Belgique, réunit périodiquement six ministres fédéraux et six ministres représentant les gouvernements fédérés. Le compromis conditionnait le feu vert donné à la signature de l’AECG à l’engagement du gouvernement belge de demander à la Cour de justice de l’Union son avis — que le gouvernement wallon espérait négatif — sur la compatibilité du mécanisme de règlement des différends relatifs aux investissements avec le droit primaire européen. Le lendemain, les motions déposées en conclusion du débat sur l’Accord étaient adoptées en séances plénières des parlements réclamants, mettant ainsi fin au blocage et autorisant la signature de l’AECG par la Belgique.
Ce compromis prit la forme d’une déclaration belge « relative aux conditions d’exercice des pleins pouvoirs conférés par l’État fédéral et les entités fédérées pour la signature du CETA » (AECG), qui fut publiée au Journal officiel de l’Union avec le traité et son instrument interprétatif commun. Lors de la signature officielle de l’Accord, il fut précisé, sous la signature apposée par le ministre belge des Affaires étrangères et européennes, qu’elle engageait aussi les trois Communautés et les trois Régions du pays.